Dans la série Nouvelle adresse, elle incarne Johanne Lemieux – vous savez, la femme de médecin névrosée sur les bords ? – de brillante façon. Bien sûr, elle est heureuse de faire partie de la distribution… Sauf que ce n’est pas le rôle qu’elle convoitait. Elle avait d’abord auditionné pour jouer Danielle Bergeron, la meilleure amie de Nathalie Lapointe, l’héroïne. C’est Macha Limonchik qui a été choisie. Idem pour Béatrice dans Au secours de Béatrice, qui allait plutôt être interprétée par Sophie Lorain. Elle le voulait vraiment, ce personnage. Mais ça n’a pas marché.
La comédienne évoque ses revers sans rougir. Les revendique même, en sa qualité de présidente de l’Union des artistes. Salopette en jean sur camisole, tignasse blonde tombant en cascades sur ses épaules bronzées, elle parle sans mâcher ses mots, ses yeux bleu azur révélant sa pugnacité. « Je veux que les gens cessent de s’imaginer que les acteurs sont tous des winners. Derrière un rôle obtenu, il y a neuf refus qu’on gère du mieux qu’on peut. »
Elle se souvient avoir un jour confié à un confrère comédien qu’elle était dans une période très tranquille. Ça lui a valu un conseil : « Dans ce temps-là, il faut que tu dises que tu travailles à un projet dont tu ne peux pas parler ! »
Mais voilà : Sophie Prégent préfère dire la vérité. « On entend souvent : “Si on pouvait recommencer, je ne changerais rien.” La formule est réconfortante, mais je doute que ce soit toujours vrai. Moi, il m’est arrivé de prendre des décisions malavisées dans ma vie, et j’ai eu des regrets. Pourquoi est-ce aussi difficile d’admettre qu’on a échoué et que ça nous chagrine ? »
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L’actrice a mordu la poussière à quelques reprises avant de devenir populaire grâce aux séries Le retour, Rumeurs et Nos étés. Un exemple ? Il lui a fallu trois ans avant d’être acceptée à l’École nationale de théâtre du Canada. Combien de fois s’est-elle couchée en se demandant ce qui clochait avec elle !
Il faut dire qu’elle partait de loin. « Ceux qui m’ont connue avant l’âge de 20 ans vous le diraient : le théâtre est bien le dernier métier que j’aurais pensé exercer. Je viens d’un milieu ordinaire où la culture n’était pas au premier plan. J’habitais à Repentigny, mon père était policier, ma mère a été longtemps à la maison. Je ne faisais pas partie de la bande d’impro du cégep… Mes amies étaient coiffeuses. »
Sa révélation, elle l’a eue à 19 ans, dans un cours de français. Sa classe avait monté Double jeu, une pièce de Françoise Loranger dans laquelle elle devait interpréter une chanson a cappella. « Il s’est passé quelque chose. Moi qui étais grassouillette, timorée, toujours à longer les murs, je me suis mise à exister. »
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Et Sophie de se mettre en mode rattrapage. Leçons particulières de théâtre, cours de diction, initiation à la claquette et au tango, études en littérature, en théâtre, en cinéma : elle a pioché dur dans l’espoir que l’École nationale lui donne enfin sa chance. Alors que d’autres préparaient leur audition avec désinvolture, à quelques jours d’avis… Et passaient tout de suite à Go.
« Je trouvais ça frustrant ! Mais ces rebuffades m’ont aidée à développer ma détermination, plutôt mollassonne jusque-là. Quand j’ai finalement été acceptée, je connaissais Ionesco, Shakespeare, et j’avais vu tous les documentaires de l’ONF. Pour moi, le théâtre, ce n’était pas juste un trip. Je savais où je m’en allais ! »
Aujourd’hui, elle est comme le roseau de La Fontaine, qui plie mais ne rompt pas. Une bonne affaire quand on est mère d’un enfant autiste. À 13 ans, Mathis ne parle toujours pas. Toutes les nuits, Sophie ou son chum, Charles Lafortune, doit dormir avec lui. Le jour de notre rencontre, elle s’était réveillée une cinquantaine de fois pour demander à son fils d’éteindre la lumière, qu’il rallumait aussitôt. « Je fais des deuils au quotidien de l’enfant que j’attendais. Il ne me racontera jamais sa journée à l’école, ne nous présentera pas sa première blonde, ne commencera pas le cégep. Je ne dis pas que mon garçon est un échec : je l’aime, je l’adore… Mais c’est l’échec d’une vie familiale rêvée. »
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Sa fameuse « tête de cochon » l’aide aussi à retomber vite sur ses pieds quand elle collabore à des projets qui foirent. Elle pense à Grosse vie, une sitcom avec Normand Brathwaite qui a duré le temps des cerises. « On en rit aujourd’hui mais, sur le coup, tu as peur que ça nuise à ta carrière. »
Il y en a eu d’autres sur cet air-là. Chaque fois, ça a fait mal, mais rien n’a entamé sa volonté de faire ce métier. Sans doute parce que sa motivation profonde n’était pas de briller aux yeux des autres.
« Je n’ai jamais rêvé d’être connue. La première fois qu’on a joué devant un public, à l’École nationale, j’ai régressé. J’avais juste le goût du théâtre pour le théâtre. Aujourd’hui encore, je n’écume pas les réseaux sociaux pour savoir ce qu’on pense de moi. Je me fie à mes propres désirs. J’ai envie d’être une personne qui a fait des bons et des mauvais coups. C’est sur l’ensemble de mon œuvre que je veux être jugée à la fin de ma vie. »
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