Une trentenaire, une quarantenaire et une cinquantenaire, mais trois fois la même énergie. Daphné Mailloux-Rousseau, Sandrine Faust et Line St-Amour ont en commun un dévouement qui inspire. Exactement le genre de personnes qui fait qu’on se demande tout à coup si on n’aurait pas dû, nous aussi, choisir un travail où on peut aider du monde… À elles trois, ces femmes d’action viennent en aide à tous les types de jeunes, des poqués dont l’avenir semble bouché jusqu’aux bollés qui veulent toujours en savoir plus.
Allô prof, que dirige Sandrine Faust depuis 14 ans, répond aux appels des jeunes du primaire et du secondaire qui, en rentrant de l’école, ont besoin d’explications supplémentaires pour comprendre une notion en particulier, faire leurs devoirs ou préparer un examen. La centaine d’enseignants qui œuvrent dans les locaux de l’organisme, à Montréal et à Québec, répondent à des questions touchant toutes les matières, que ce soit par téléphone, par texto ou en ligne. Et ils ne chôment pas : plus de 8,4 millions de requêtes ont été enregistrées au cours de la dernière année, dont celles de beaucoup d’adultes de retour sur les bancs d’école pour y décrocher leur diplôme d’études secondaires.
« On est l’urgentologue du système éducatif, illustre la directrice générale, rencontrée dans les locaux montréalais de l’organisme. On règle les petits bobos, mais, pour les problèmes plus complexes, les jeunes sont pris en charge par des ressources plus importantes dans le système scolaire. » Un enseignant d’Allô prof peut passer trois minutes aussi bien qu’une heure à répondre à un élève. « Il n’y a pas de limite de temps. »
Un refuge…
Les cinq Clubs garçons et filles du Canada que Line St-Amour chapeaute au Québec accueillent après la classe des élèves de milieux défavorisés surtout. Sans être décrocheurs, beaucoup sont à risque. Au Club, ils ont accès à toutes sortes d’activités : basketball, jardinage, cuisine, discussions, implication communautaire, aide aux devoirs, programme de leadership. « Ils se sentent bien et en sécurité ici, parfois plus qu’à la maison », remarque-t-elle. Il s’agit d’un refuge où ils trouvent des modèles, ce qui les empêche de traîner dans la rue.
Line St-Amour veut éviter que les jeunes ne se retrouvent emballeurs dans un supermarché à temps plein plutôt que sur les bancs d’école à se dessiner un avenir. « Notre mission première est de leur faire vivre des expériences extraordinaires, de leur faire relever des défis pour qu’ils développent leur potentiel et deviennent de bons citoyens. Ce qui sous-tend tout ça, c’est d’entretenir leur capacité de poursuivre leurs études jusqu’au diplôme. »
Puis, quand plus rien ne va, L’Ancre des jeunes, avec à sa tête Daphné Mailloux-Rousseau, prend le relais. À Verdun, elle aide chaque année 30 décrocheurs de 13 à 20 ans à reprendre goût aux apprentissages. Il s’agit d’adolescents pour qui le système scolaire ne peut plus rien parce que leur profil est trop complexe, mettant en jeu plusieurs problèmes, tels que difficultés scolaires, troubles de santé mentale, famille dysfonctionnelle, toxicomanie, violence conjugale ou intimidation. Franchir la porte de L’Ancre des jeunes, où flotte l’odeur de la soupe maison qui sera dégustée à midi, est leur ultime chance.
Ces jeunes sont passés à travers les mailles du système, explique la directrice, avant de nous faire visiter l’immense bâtiment où se succèdent les ateliers de peinture sur vitrail, de photo, de menuiserie, de joaillerie. « Le jeune qui débarque ici au début de l’année scolaire est convaincu qu’il est moins intelligent que les autres. Il a un paquet d’échecs pour le prouver. Il n’a pas assez confiance en lui pour
soutenir un regard ou entretenir une conversation. Certains ont l’air d’avoir une scoliose, tellement ils sont courbés. Souvent, en plus de décrocher de l’école, ils ont décroché de la société, de leur famille, de leur santé. » Tout au long de l’année, ces rescapés suivent avec les enseignants des cours individuels, en plus de participer à un suivi psychosocial et à des activités culturelles. En juin, ils ont repris confiance en eux et en leur capacité d’apprendre des choses, des notions scolaires aux apprentissages artistiques. Plus de 80 % vont réintégrer l’école.
Donner au suivant
Qu’est-ce qui anime ces trois femmes exceptionnelles ? Le sentiment d’avoir été choyées par la vie. « J’ai eu de la chance : j’avais un bon potentiel et j’ai pu le développer », dit Daphné Mailloux-Rousseau, qui était le genre de petite fille à pleurer à la fin des classes et à crier « Hourra ! » à la rentrée. « Pour faire une société équitable, ça prend des gens qui aident ceux qui ne sont pas partis dans la vie avec les mêmes cartes pour se réaliser. »
Line St-Amour, elle, se reconnaît dans les jeunes qui fréquentent les Clubs garçons et filles. Adolescente, elle non plus ne croyait pas que l’avenir était plein de promesses. « J’ai grandi dans un milieu où l’on pensait que l’université, c’était pour les gens d’exception, comme s’il fallait faire partie d’une classe privilégiée pour y entrer », raconte cette native de l’est de Montréal, près des raffineries. Elle a finalement eu le courage de s’y inscrire. « Dans une université anglophone, alors que je ne parlais pas un mot d’anglais ! En me disant que si jamais j’échouais je pourrais prétexter que c’était à cause de la langue. » Ce qui n’a pas été le cas. Line St-Amour souhaite aujourd’hui que les jeunes, comme elle, fassent sauter les limites et découvrent jusqu’où ils peuvent aller.
Pas mal bons, ces jeunes !
En plus de son amour de l’éducation, c’est une passion pour l’entrepreneuriat qui anime Sandrine Faust, d’Allô prof (enfant, elle vendait déjà des pissenlits et des roches avec beaucoup de sérieux !). Depuis qu’elle a sauvé l’organisme in extremis grâce à un plan d’affaires habilement ficelé en 1999, il se porte plutôt bien. Le nombre de requêtes croît de 40 % à 50 % par année. « Je partirai quand on aura une croissance de 0 %. Ça voudra dire que tous les jeunes du Québec connaissent Allô prof et utilisent ses services ! » En attendant, elle continue de « sauver des vies ». « On connaît la tendance des ados à exagérer, mais c’est ce qu’ils nous disent. »
Les jeunes d’aujourd’hui ? Créatifs, débrouillards, ouverts et francs, voilà quelques-uns des termes que les trois femmes utilisent pour les décrire. Quant à Sandrine Faust, c’est le volet didactique qui l’épate. « Si on compare leurs cahiers de sixième année à celui que j’avais au même âge, je trouve que c’est beaucoup plus difficile aujourd’hui. Ils sont bons ! » Et quand ça va moins bien, des passionnées sont là pour les aider.
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