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Channel: Entrevues – Châtelaine
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Dans la peau d’Élise Guilbault

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Je suis en bas de chez toi avec ma violette africaine. J’attends que tu viennes me chercher. Je dois avoir l’air de quelqu’un qui a quelque chose à se faire pardonner, et c’est vrai. Pourtant, crois-moi, ce n’est pas dans mes habitudes d’annuler un rendez-vous à la dernière minute, mais j’ai une bonne raison. Je t’explique. J’avais passé un super week-end à New York avec mon amoureux. Quand nous sommes arrivés à l’aéroport, ça s’est gâté. Le ciel était noir avec des éclairs, les avions attendaient à la file indienne avant de décoller, on devait être les 43es, pris en otages, et moi j’ai peur de l’orage et de l’avion, j’ai mangé un sandwich qui n’a pas passé et j’ai été malade… Je te passe les détails, mais le lendemain matin je n’étais pas assez en forme pour te rencontrer.

Bon, me voilà à l’intérieur. Je suis un peu gênée, c’est très, très, très rare qu’un journaliste nous reçoive chez lui. La première chose que je remarque, après le requin dans l’aquarium, ce sont ces cou­pures de presse qui parlent de moi sur ton comptoir de cuisine. Je ne lis jamais les entrevues que je donne, comme je regarde le moins possible les émissions et les films que je fais. Ça ne m’intéresse pas parce que, justement, mon travail est fait. Ma mère, elle, voit tout et conserve (presque) tout. Au cas où peut-être un jour, dans 10 ou 25 ans, j’aurais le goût de voir ou de lire tout ça. Mais je me souviens de ce numéro de Châtelaine [octobre 2001] que j’ai longtemps gardé parce qu’il y avait dedans une recette de sauce à spaghetti très bonne et très vite faite. Je te jure, chaque fois que je consultais la recette, je me voyais sur la page couverture et je me disais?: «C’est quand même une belle photo!»

Aujourd’hui? Je vais très bien, je suis en congé. D’ailleurs, je suis libre tout le mois de juillet. J’ai organisé mon horaire pour ça. Car, au cours des deux dernières années, il y a eu beaucoup d’événements qui m’ont obligée à m’arrêter. J’ai perdu quelqu’un que… J’ai perdu mon père. C’est la première grande perte que je vis. Je n’en dirai pas plus et je suis contente que tu n’insistes pas sur ce sujet.

Parlons travail. Ça va être une grosse saison pour moi avec 30 vies (Radio-Canada), Yamaska (TVA) et En thérapie (TV5). Sûrement qu’on va dire?: «Élise Guilbault est partout.» Ce n’est pas voulu. Quand on fait ces séries, on n’a aucune espèce d’idée de la case horaire ni du moment de la diffusion. Alors, si j’avais su, je me serais peut-être retenue, parce que c’est too much. Mais qu’est-ce que tu veux?? Ça, c’est la partie où on n’a pas de contrôle.

*En 1998, Élise Guilbault jouait la reine Christina de Suède dans la pièce L’abdication, au théâtre de Quat’Sous, où Jean-Yves était responsable des communications.


 

Tu as aimé la publicité télé pour 30 vies? Je ne l’ai pas encore vue. Je me souviens que je riais pendant le tournage, même que ça surprenait Fabienne [Larouche, qui d’autre?]. Elle ignorait que, dans la vie, je suis une fille qui rit beaucoup. Elle ne me connaissait pas du tout, en fait. Non, je ne lui ai pas demandé pourquoi elle a pensé à moi pour le rôle d’Angie Caron. Elle m’a approchée en me demandant où j’en étais dans ma carrière, qu’est-ce que j’avais envie de faire, d’exprimer. Je me suis rarement posé la question. Mais j’ai toujours été sensible à rester fidèle à ce que j’ai choisi d’être. Je pense à cette phrase célèbre de Brecht?: «Peut-être qu’on peut faire autre chose que divertir.» C’est sans doute pas la citation exacte, parce que je suis incapable de citer. D’ailleurs, c’est une vraie joke, je ne retiens rien. Je dois souvent passer pour une inculte. Tous les chauffeurs de taxi, plein de gens que je ren­contre me disent?: «Mon Dieu que vous devez avoir de la mémoire?!» S’ils savaient la vitesse indécente àlaquelle j’oublie les textes que j’apprends…

Dans 30 vies, je m’appelle Angie Caron. C’est la première fois que je joue une femme qui me res­semble, la première fois aussi que je ne passe pas une heure et demie sur la chaise de maquillage. Angie, ce n’est pas moi, mais elle est là où je suis rendue. Elle est de ma génération. Celle des femmes de fin quarantaine ou début cinquantaine, battantes, branchées, allumées, qui ont des opinions, qui font partie de certains mouvements, qui prennent soin de leurs parents. Il n’y a pas tellement d’héroïnes à la télé… Et c’est pourquoi la proposition de Fabienne m’a intéressée.

Bon, tu veux m’amener quelque part avec cette photo [ci-dessus]… Ça tombe bien, je l’adore. J’ai été très influencée par Roy Dupuis. Sortie 234 [court métrage de Michel Langlois, 1988] était notre premier film. Roy était déjà plus fort que la caméra, que cet œil noir. Moi, j’étais encore très théâtre. Je me souviens de la dégaine de Roy, qui plaçait ses cheveux en se regardant dans la lentille. Il se servait de la caméra et c’était beau à voir pour moi, qui étais beaucoup plus complexée, plus timide, plus…

À l’époque, j’avais un problème de confiance en moi et j’étais certaine que je ne ferais que du théâtre, étant donné ma morphologie. Je pensais que j’étais pas «amanchée» pour la caméra, je le sentais profondément. Pas pour en pleurer et aller en thérapie pour apprendre à m’aimer. Non. À l’École, j’ai joué beaucoup d’abandonnées, d’immolées, de sœurs, de tantes, mais jamais Juliette, c’est sûr. Je ne me plains pas, je fais juste dire que ça a renforcé l’idée que je ne serais pas une jeune première.

Nous étions huit finissants à l’École en 1985. Et quand tu les nommes, Brigitte Portelance, Richard Gagnon, Julie Castonguay… je sais ce que tu vas dire et tu ne devrais pas. Je sais que tu penses que c’est moi qui ai le plus réussi, mais c’est impossible de dire ça, c’est comme s’il y avait un standard dans la réussite. Évidemment, quand on fait cette formation, c’est dans l’espoir d’être un interprète mais, souvent, il y en a qui se rendent compte que le bonheur n’est pas dans le fait d’endosser des personnages, mais plutôt d’être psychothérapeute, comme Brigitte.


 

Il y a plusieurs facteurs derrière une carrière qui fonctionne. Un potentiel de talent, probablement, une rigueur dans le travail. Mais aussi un contexte favorable qui fait que tu as encore la lumière, que tu es encore allumée. Et cela vient de quelque part, de l’intimité, de ce que j’appelle mon instrument, qui est bien traité. Oui, tu peux écrire ça?: mon instrument est bien traité. Comprenne qui pourra.

Là, je vais probablement faire sauter les filles, mais puisque tu me poses la question, il faut que je réponde ce que je vis. La pression extérieure du pa­raître, de la jeunesse, je ne la sens pas, je ne l’ai jamais sentie. J’ai 50 ans, pas 38. Même si je faisais un gros ménage, je n’aurais pas l’air de 38. J’aurais l’air d’une femme refaite, sur laquelle le temps n’a pas beaucoup d’emprise. Regarde, regarde mes mains, regarde mes coudes. Qu’est-ce que tu veux, jamais tu penserais que j’ai pas 50 ans, c’est pas possible. Si je mets une jupe courte, on va voir mon petit genou flup-flup. À 30 ans, j’avais pas de flup-flup.

En fait, refuser de me voir à l’écran, c’est sans doute une façon de me protéger, de ne pas me voir vivre en dehors de moi, en dehors de… Tu comprends?

Tu as raison, je suis plus épanouie qu’avant, que lorsqu’on s’est connus. Plus heureuse… Depuis, bien sûr, j’ai rencontré Daniel [Thomas, sur le plateau de Deux frères, en 1999]. Il y a toutes sortes de manières de se sentir mieux dans la vie. Et là, après 25 ans de travail et aussi de vie quotidienne privée, amicale, amoureuse, je peux te dire que, si ça s’arrêtait demain, je serais capable de faire un bilan et de me dire?: «C’était vraiment pas mal. Ma vie s’est très bien passée.» Aujourd’hui, je suis convaincue que j’ai le droit d’être là et, plus que ça, que j’inspire d’autres personnes. Ce n’est pas tellement de me péter les bretelles, mais plutôt de finir par croire ce que me disent les gens que je respecte, les Fabienne Larouche, Bernard Émond, André Brassard, Pierre Bernard, Claude Desrosiers, qui a réalisé Les hauts et les bas de Sophie Paquin. Croire que j’ai des qualités et quelque chose qui n’est comparable à personne. Que je ne suis pas plus fine ou meilleure qu’une autre, juste unique.

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