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Valérie Plante: madame Montréal

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Le 16 novembre 2017, la nouvelle mairesse était applaudie lors de la cérémonie d’assermentation qui se tenait au marché Bonsecours, dans le Vieux-Montréal. Photo: Presse canadienne/Ryan Remiorz

Son rire en cascade traverse la porte fermée de son bureau à l’hôtel de ville et remplit la salle d’attente de bonne humeur. Ça promet ! La journée de l’entrevue, Valérie Plante vient d’enterrer la controversée Formule E, mais ces funérailles ne lui ont pas pour autant fait perdre son sens de l’humour.

Elle apparaît sur le seuil, tout sourire, et invite ma fille de 17 ans à se joindre à nous, ce qui n’était pas du tout prévu. « Je connais ça, la conciliation travail-famille ! » lance cette mère de deux garçons de 11 et 14 ans.

Nous sommes passées au « tu » après 15 secondes. Elle a 43 ans, j’en ai 48, et j’ai été le bras droit du maire de Québec, Régis Labeaume, pendant huit ans, après une carrière en journalisme. Je connais donc moi aussi les pièges, les satisfactions et les sacrifices liés à la politique… Nous avons parlé comme deux vieilles chums devant ma fille, encore impressionnée d’avoir assisté à ce moment privilégié.

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Une gagnante-née

Rien ne prédestinait Valérie Plante à devenir la première mairesse de Montréal. Du moins en apparence. Car lorsqu’on se penche sur son parcours, on constate que cette femme déterminée avait toutes les cartes dans son jeu pour fracasser le plafond de verre.

« Elle a eu un front de bœuf toute sa vie. Quand elle avait neuf ans, elle a organisé une manifestation pour sauver son école de la fermeture en Abitibi. Et elle a réussi ! » raconte sa mère, Constance Lamarre, une charmante dame aussi énergique que sa fille. D’où lui vient cette confiance inébranlable en ses moyens ? « Valérie s’est forgée elle-même, précise-t-elle. Elle ne doit rien à personne. C’est une éponge. Elle aime apprendre et elle apprend vite. Et elle sait bien s’entourer pour atténuer ses doutes. »

La mairesse avait oublié l’épisode de cette école sauvée de la démolition et se remémore le tout dans un grand éclat de rire. « J’étais un peu boss des bécosses ! » La revendication a toujours été une seconde nature pour elle, que ce soit pour défendre la cause des femmes ou pour implanter le recyclage dans son école secondaire à Trois-Rivières, où elle a déménagé à 16 ans. « Je suis prête à monter aux barricades pour les causes nobles. Je suis très action–réaction. S’il y a quelque chose que je trouve inacceptable ou triste, ma solution, c’est de faire quelque chose, de bouger. »

C’est ce qui explique en bonne partie sa décision de quitter son Abitibi natale à 15 ans pour aller vivre à North Bay pendant toute une année scolaire. Ses parents étaient à l’époque en processus de divorce, le climat dans la maison était tendu et la jeune Valérie, cadette des deux filles du couple, s’est dit qu’il valait mieux agir que subir. « Je trouvais ça souffrant, difficile, je voulais me sortir de là. » Ce petit exil était en outre pour elle l’occasion d’apprendre l’anglais, ce qu’elle avait toujours voulu faire.

L’expérience s’est toutefois révélée éprouvante. Sa mère raconte que Valérie l’appelait tous les jours en pleurant. Se retrouver loin des siens, dans une famille qui ne partageait ni ses valeurs ni sa langue, c’était déstabilisant. Mais Valérie a persévéré. Elle a vécu sa douleur un jour à la fois et, après quelques mois, elle a trouvé son équilibre.

« Ça démontre que je suis à l’aise à l’idée de sortir de ma zone de confort, confie-t-elle. Je suis une personne très disciplinée et, dans tout ce que j’ai fait dans ma vie, ça m’a aidée. J’aime aussi relever des défis. J’ai une grande soif d’apprendre et de faire face à d’autres réalités. »

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L’instinct comme guide

C’est cette curiosité de l’autre qui a pous-sé la future politicienne à s’inscrire en -anthropologie à l’Université de Montréal. La jeune femme avait déjà une grande conscience sociale, suivait les traces de sa mère qui l’avait sensibilisée au féminisme, s’investissait dans le bénévolat. Mais ce sont ses études qui l’ont vraiment éveillée à la politique et ont ouvert la voie à sa future carrière.

« C’est là que j’ai fait mes classes, que j’ai commencé à lire les grands théoriciens et à me dire que, si je voulais aider mon prochain, il fallait le faire avec une analyse critique de la société. En anthropologie, on militait à propos de tout et j’étais de tous les combats ! »

Elle avait choisi ce programme parce que le sujet avait « l’air cool ». Et elle a décidé de faire sa maîtrise en muséologie pour la même raison. En fait, toutes ses grandes décisions ont été dictées par son instinct. Elle a été guide touristique, elle a bourlingué en Europe – France, Angleterre, Pays-Bas, Turquie – avec son sac à dos, elle a fait du bénévolat en Amérique latine. Pendant huit ans, elle a été directrice des communications de Filles d’action, un organisme pancanadien basé à Montréal qui vient en aide aux femmes marginalisées. Elle a ensuite fait le saut en politique en 2013. Chaque fois, elle a laissé parler ses tripes et son goût de l’aventure.

« C’est moi tout craché ! En 2013, je me cherchais un nouveau défi. C’est la -politique qui s’est présentée et j’ai dit : ah ouais, ça a l’air cool ! Et j’ai plongé. » Oublions ici le plan de carrière et les grandes stratégies professionnelles. « Je suis stratégique au quotidien, mais pas à long terme. Je n’ai aucune idée de ce que je ferai dans 20 ans. Mon mari dirait oui, oui… Anthropologie, muséologie, mairie ! Très stratégique ! » lance-t-elle en s’esclaffant.

Si elle n’a pas toujours rêvé de diriger la métropole, Valérie Plante a néanmoins su dès l’enfance qu’elle voulait faire une différence. Elle n’avait jamais adhéré à un parti avant de se joindre à Projet Montréal en 2013. Maintenant qu’elle a remporté la mairie, elle souhaite démontrer qu’il est possible de faire de la politique autrement, possible de rester femme et humaine tout en prenant de bonnes décisions pour la collectivité. Mais elle sent qu’elle aura besoin d’appui pour arriver à ses fins et combattre les préjugés.

« Il y a une chose qui sera déterminante dans mon mandat : le désir de la classe politique et des journalistes de me voir réussir. Pas pour me faire des passe-droits. Mais parce que c’est important de me

soutenir dans cette démarche d’être la première femme à la tête de la Ville de Montréal, c’est crucial pour la suite, pour ce que je représente, pour permettre aux femmes de se voir dans ce rôle-là. Que Valérie Plante se plante, c’est une chose, mais on devrait au moins me donner les outils pour avoir du succès. Après ça, si je ne sais pas les utiliser, c’est une autre paire de manches. »

Valérie Plante dans la salle du conseil de l’hôtel de ville de Montréal. Photo: Presse canadienne/Paul Chiasson.

Gouverner avec le sourire

Peu avant notre rencontre, quelques arti-cles publiés à son sujet lui ont toutefois  fait voir que la partie est loin d’être gagnée. « C’est venu me chercher parce que certains ont parlé de mon style plus effacé… Si je ne suis pas comme un homme qui se bombe le torse et qui se tape sur le chest, je suis effacée, vraiment ? C’est l’un ou l’autre ou ce n’est rien ? » s’indigne-t-elle.

En janvier, il y a eu l’épisode de la hausse des taxes municipales, qui a fait râler les commentateurs politiques – elle qui avait pourtant promis le contraire pendant et après la campagne électorale de novembre 2017.

Sa disposition à toujours rire a aussi beaucoup fait jaser. Mais elle n’est pas dupe : elle sait bien que sa bonne humeur est une lame à double tranchant. « Je suis très consciente de la game. Je sais que je suis une fille dans un monde de gars. Je suis prête à jouer le jeu, mais je ne vais pas me dénaturer non plus et je vais y mettre ma touche. J’ai décidé de rester moi-même et de rire en sachant très bien que ça pouvait jouer contre moi, m’enlever de la crédibilité. D’un homme, on dirait qu’il est chaleureux… Mais pour une femme, la limite est mince entre être joyeuse et avoir l’air idiote. » La nouvelle patronne de l’hôtel de ville s’est fixé comme objectif de nommer le sexisme ambiant afin de contribuer à l’éveil collectif.

Pas question pour elle de s’empêcher d’être aimable pour autant. Il est donc là pour rester, ce sourire craquant, car il lui sert de refuge, de carapace, d’outil de gestion du stress et d’arme de séduction massive.

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Un bon entourage, la clé

La mairesse a constaté que de nombreuses femmes doutent encore de leurs capacités et pensent qu’elles n’ont pas ce qu’il faut pour aller plus loin. Elle a d’ailleurs dû beaucoup insister auprès de certaines élues de son équipe pour les convaincre d’accepter de grandes responsabilités, alors que des candidats masculins lui réclamaient une mairie d’arrondissement même s’ils n’avaient pas le profil. « Je regardais ça et je me disais : mais qu’est-ce qu’on vous donne à manger les gars pour que vous soyez si sûrs de vous ? C’est quoi l’ingrédient ? »

Et le sien, quel est-il ? Qu’est-ce qui lui permettra de traverser les épreuves de la vie politique de façon sereine malgré les coups de poignard dans le dos qu’elle recevra immanquablement ? Une base solide, répond-elle. L’amour de son conjoint, Pierre-Antoine, qui l’accompagne dans tous ses défis depuis 20 ans, la présence de ses enfants, la complicité de ses amis, la certitude qu’il y aura une vie après comme il y a eu une vie avant la mairie.

Sa collègue Marie Plourde, ex-animatrice devenue conseillère municipale en 2013, estime que la véritable force de Valérie réside dans son humanité, dans sa capacité d’entrer en contact avec les grands de ce monde comme avec les plus petits, sans distinction. Elle confirme que la nouvelle mairesse a aussi la chance de compter sur des proches dévoués. « Faire de la politique autrement, ce n’est pas possible si ton entourage ne te suit pas. Il faut que les gens qui t’aiment embarquent avec toi, qu’ils soient présents pour te permettre de briller », avance-t-elle.

Valérie Plante est consciente de sa bonne fortune et tentera de protéger jalousement les siens des aléas de la vie publique. Quant à elle, difficile pour l’instant de savoir si la coque de son bateau sera assez robuste pour résister aux tempêtes.

« Ben oui, je trouve ça dur. Je commence à avoir des critiques et je me dis : est-ce que j’aurais pu faire les choses autrement ? Il va falloir que j’apprenne à laisser aller. » Sa mère aussi s’en fait un peu. « On lui donne de l’amour pour le moment, mais dans quelques mois, les caricatures seront moins belles et ce sera difficile pour elle, pour les enfants. Ça m’inquiète parce qu’elle est sensible, Valérie. »

Pour se protéger, la principale intéressée s’appuiera sur les mentors qui l’ont toujours soutenue, comme Tatiana Fraser de Filles d’action. Mais elle espère de tout cœur qu’on lui donnera aussi le droit à l’erreur. Parce qu’elle est imparfaite comme tout le monde et parce que se tromper, pour elle, représente souvent une façon de s’améliorer. « C’est correct. C’est une bonne chose même. Je me suis mis des standards très hauts, je veux être une bonne mairesse, mais je vais me donner le droit à l’erreur. C’est aussi, à mes yeux, une façon d’être un modèle. »

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