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Témoignages: trois femmes racontent leur difficulté au travail
Sylvie Michaud
55 ans, ex-gestionnaire, instructrice de course à pied
Sylvie Michaud ne pensait jamais être encore en vie à 55 ans. Elle montre une vieille photo accrochée au mur du gym qu’elle a fait aménager dans son sous-sol : la fille qu’on aperçoit marcher sur une plage, c’est une autre version d’elle, méconnaissable avec 50 kilos de plus. Cette Sylvie-là fumait deux paquets par jour, prenait des médicaments contre l’hypertension, souffrait de toux chronique et vomissait du sang chaque matin. À 40 ans. « Je cochais oui à côté de tous les facteurs de risque pour les maladies cardiovasculaires ! »
C’était la fin des années 1990. Elle était au faîte de sa carrière de gestionnaire spécialisée dans l’organisation d’événements et élevait en même temps un jeune enfant. Échéanciers serrés, horaires de fou, déplacements fréquents, grosses équipes à superviser : amenez-en, la madame voyait grand. « J’adorais mon métier, aussi exigeant fût-il. Mais je composais mal avec la tension qui l’accompagnait. Au lieu de l’évacuer en bougeant, je mangeais de la bouffe trop grasse et je fumais. Je ne savais pas comment prendre soin de moi. »
À l’époque, Sylvie était l’une des rares femmes de son secteur à occuper un poste assorti de hautes responsabilités. Une position minoritaire qui la remplissait de fierté, puisqu’elle s’était toujours battue pour avoir les mêmes privilèges que les hommes. Mais ça ajoutait aussi à son stress.
Ses collègues masculins ne lui faisaient pourtant pas la vie dure. Au contraire, plusieurs lui avaient donné des ailes, convaincus qu’elle possédait tout ce qu’il fallait pour être une bonne leader. Mais elle avait toujours l’impression de devoir en faire plus pour prouver sa valeur. Un comportement observé chez bien d’autres femmes. « On a peur de commettre des erreurs, on a vite le sentiment d’être incompétente. Une conséquence de notre éducation, je crois. On a intériorisé une pression sournoise à l’effet qu’on n’est jamais assez ceci ou cela. Même sur le plan de l’apparence physique, les critères sont plus sévères à notre endroit. Il faut toujours en rajouter pour être correcte – se teindre les cheveux, s’épiler, se maquiller... »
Aujourd’hui, elle se sent dégagée de cette emprise. Et c’est beaucoup grâce à l’activité physique. Inquiète de se voir dépérir si jeune, elle s’est mise à l’exercice il y a 14 ans, notant chacun de ses petits progrès dans un journal qu’elle appelle « l’encyclopédie Sylvie ». Au début, elle pensait crever après 30 secondes de jogging ; aujourd’hui, elle court un marathon après l’autre, comme en témoignent les nombreuses médailles qui décorent son bureau. Un cinq kilomètres en sentier, elle règle ça en 24 minutes !
La pratique du sport a remplacé la malbouffe et la cigarette comme soupape, la débarrassant du coup de tous ses bobos physiques. Mais ça a eu aussi un effet saisissant sur son état psychologique. « Ça m’a apporté de la force intérieure. Une plus grande confiance en mes moyens comme personne, comme travailleuse. Bref, un empowerment généralisé ! »
Au fil du temps, l’idée de guider d’autres femmes dans cette voie a germé. Un « véritable appel » qui l’a incitée à abandonner sa carrière de gestionnaire pour devenir entraîneuse sportive. On ne cogne pas à sa porte avec l’objectif de se transformer en sirène, mais pour apprendre à investir son corps, précise-t-elle. « Les filles sont bien plus puissantes physiquement qu’elles ne le croient. Quand elles le réalisent, ça se répercute sur toutes les sphères de leur vie, y compris au boulot. Elles ont plus de facilité à s’affirmer sans ressentir le besoin de se justifier et osent faire des démarches qu’elles ne s’autorisaient pas avant – changer de carrière, demander une augmentation de salaire, un changement d’horaire. Ça apporte de l’aplomb et de l’assurance. »
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